Ce 18 juin, les chefs des groupes politiques du Parlement européen envoyaient une lettre aux dirigeants de l’UE, en prévision de la réunion du Conseil européen du lendemain.

Le Parlement européen « ne fera pas de compromis sur l’avenir de l’Union européenne. Nous appelons le Conseil européen à faire de même et à adosser les déclarations politiques aux moyens budgétaires appropriés. Nous devons laisser à la prochaine génération d’Européens une UE résiliente, durablement prospère et qui ne laisse personne sur la touche », écrivent-ils en substance dans la lettre reproduite ci-dessous.

 

Chers chefs d'État et de gouvernement,

Un moment historique : c’est à cela que nous avons assisté dans notre hémicycle, ce 27 mai, lorsque la présidente de la Commission est venue présenter en détail le plan de relance de l’Europe demandé par le Conseil européen. À présent, ce plan doit être approuvé par les chefs d'État et de gouvernement, ainsi que par le Parlement européen.

Sur le fond, nous y sommes presque. Le montant global avancé par la Commission pour l’instrument Next Generation EU, constitue un bon point de départ. Cependant, nous estimons que 500 milliards de subventions constituent le minimum absolu pour une riposte européenne crédible à une crise d’une telle ampleur. Nous nous opposons à toute forme de réduction. Il y a un mois, 505 membres élus du Parlement européen sur 705 votaient en faveur d’un train de mesures de 2 000 milliards d’euros, destiné à transformer et mitiger l’impact social et économique de la crise, et à remettre l’UE sur les rails de la réalisation des objectifs du Green Deal, de sa stratégie numérique et de sa stratégie industrielle. Vous admettrez qu’il est difficile d’ignorer une majorité des deux tiers des parlementaires élus, représentant le Nord, le Sud, l’Est et l’Ouest.

Étant donné la magnitude du montant en jeu, le Parlement européen concentre à présent toute son attention sur la manière de le dépenser et sur les projets précis qui seront financés par l’instrument Next Generation EU. Nous insistons sur l’utilisation de cet instrument pour financer des investissements orientés avenir, porteurs d’une valeur ajoutée significative à l’échelle de l’UE. Nous rappelons que cet instrument doit se fonder sur le Green Deal européen et la transformation numérique. Il s’agit de soutenir l’économie, d’en renforcer la résilience, de créer des emplois, tout en contribuant à la transition écologique, au renforcement du développement économique et social durable – le tout dans le cadre de la poursuite de l’autonomie stratégique de notre continent. La solidarité va de pair avec la responsabilité. En conséquence, ces projets doivent contribuer à la mise en œuvre d’une stratégie industrielle de préservation des secteurs industriels fondamentaux de l’UE.

Nous avons également souligné la nécessité d’impliquer pleinement le Parlement dans l’élaboration et la réalisation de l’instrument de relance, et nous continuerons à œuvrer dans ce sens. Il s’agit d’accroître la transparence et la responsabilisation démocratique. Nous utiliserons tous les moyens à notre disposition pour atteindre cet objectif.

Au moment de la présentation du plan, il nous a été indiqué que celui-ci serait financé par de nouveaux flux de revenus à l’échelle de l’UE, les « nouvelles ressources propres » dans le jargon de l’UE. Nous estimons qu’il s’agit d’un point clé. À défaut, nous risquons de transférer le fardeau du financement aux futurs budgets européens – ceux-là même qui sont censés financer les rêves des prochaines générations d’Européens. Or, nous devons agir en politiciens responsables : les priorités de l’UE ne disparaîtront pas à la fin de nos mandats. Nous devons laisser à la prochaine génération d’Européens une UE résiliente, durablement prospère et qui ne laisse personne sur la touche. Donner corps au plan de remboursement est aussi un test de crédibilité. Les marchés obligataires doivent savoir comment ils récupéreront leur argent.

Plus important encore, c’est un test de la confiance populaire. En effet, la dernière crise a laissé un goût amer à de nombreux citoyens. Nos électeurs nous disent que certaines de nos réponses collectives ont érodé leur confiance dans notre capacité à agir ensemble. Cette fois, nous devons faire les choses bien.

À notre avis, les nouvelles ressources propres du budget européen, promises par la Commission européenne, constituent le seul moyen crédible de financer un plan de remboursement. Si nous ne réussissons pas à tenir cette promesse, nous aurons déçu à la fois les citoyens et les gouvernements nationaux. Pourquoi ? Parce que le cas échéant, ce sont eux qui paieront la note. En effet, dans un cadre budgétaire de plafonnement des dépenses, seule l’instauration de nouveaux flux de revenus à l’échelle de l’UE est susceptible de réduire l’appel aux transferts depuis les trésors nationaux et, par conséquent, d’atténuer la pression sur les citoyens. Il faut trouver l’argent autre part : dans les poches des grandes firmes technologiques, des grands pollueurs et des resquilleurs fiscaux.

Voilà pourquoi nous pensons qu’il est essentiel que lors de votre réunion de ce 19 juin, vous, chefs d'État et de gouvernement, acceptiez le principe de l’instauration de nouvelles ressources propres. Le Parlement n’approuvera le prochain CFP qu’à la condition de l’instauration d’un panier de nouvelles ressources propres. Les premières de ces ressources doivent être opérationnelles dès 2021. Nous ne nous satisferons pas de promesses de « propositions futures » ou de création de « groupes de travail de haut niveau ». Notre demande cruciale concerne un engagement de la part de la Commission européenne et du Conseil européen de prendre des dispositions légales contraignantes, assorties d’un calendrier contraignant, concernant l’instauration progressive d’autres nouvelles ressources propres au cours du prochain CFP. Il s’agit d’atteindre un niveau d’encaissement suffisant pour au moins rembourser la totalité du capital et des intérêts empruntés.

Dans ce contexte, le temps est un facteur essentiel. Nous pensons que la Commission a raison de proposer la mise à disposition aussi rapide que possible d’une partie des fonds de relance. Le Parlement est prêt à négocier la révision de l’actuel CFP, afin de libérer les 11,5 milliards d’euros demandés par la Commission.

Par ailleurs, nous devons veiller au financement adéquat du prochain budget à long terme de l’UE. L’UE doit financer des politiques définies de longue date ainsi que des nouvelles priorités – souvent transmises par le Conseil européen, comme la protection de nos frontières extérieures ou le changement climatique. La pandémie n’a pas fait disparaître ces besoins de financement. Autrement dit, le prochain budget à long terme ne peut pas devenir un budget de crise.

L’Union doit atteindre ses objectifs et s’attaquer aux défis imposés par le 21e siècle. Seule l’adoption d’un CFP robuste pour la période 2021-2027 permettra d’avancer. Or, les propositions révisées de la Commission concernant ce prochain CFP sont insuffisantes par rapport à une série d’engagements et d’ambitions. Lors des prochaines négociations, nous continuerons à défendre la position du Parlement, et nous ne ferons pas de compromis sur l’avenir de l’Union européenne. Nous appelons le Conseil européen à faire de même et à adosser ses déclarations politiques à des moyens budgétaires appropriés. Nous souhaitons aussi vous rappeler que la démocratie et l’État de droit ne doivent pas être sacrifiés sur l’autel de la crise actuelle. Nous restons attachés à la mise en place d’un mécanisme fort, destiné à empêcher que l’argent de l’UE serve à ceux qui sapent nos valeurs inscrites dans les traités.

Notre attente, c’est que le Conseil européen présente aux citoyens, idéalement avant les vacances d’été, un accord politique intervenu en son sein au sujet du plan de relance, du CFP en cours et du nouveau CFP, accord qui tienne compte des vues du Parlement européen. Il faut aussi trouver un accord interinstitutionnel – tout nouvel outil budgétaire doit être soumis à une surveillance parlementaire rigoureuse. Nous autres représentants élus, sommes prêts à négocier pour défendre les intérêts des citoyens européens.

L’implication du Parlement européen dès les premières étapes facilitera toutes les négociations de l’automne concernant l’application du train de mesures, et cela contribuera à l’obtention de l’approbation par le PE du nouveau CFP d’ici la fin de l’année. Notez, par ailleurs, qu’en l’absence d’accord sur le prochain budget à long terme de l’UE, les plafonds actuels resteront en vigueur. Le cas échéant, ceux-ci devront être complétés par un filet de sécurité afin de protéger les bénéficiaires et les titulaires des projets. C’est l’objet du plan d'urgence que nous demandons.

Cette crise doit être un coup de semonce et une occasion de changer de cap, pour nous orienter vers le bien-être durable par le développement d’une résilience collective et partagée, dans le cadre d’une société beaucoup plus cohésive et solidaire. Les décisions que vous prendrez, ces prochains mois, pour riposter à la crise, influenceront nos sociétés sur le long terme. Les institutions et les États membres de l’Union européenne doivent collectivement faire en sorte que celle-ci sorte renforcée de la crise. C’est l’attente des citoyens, et il ne peut être question de décevoir leurs espoirs. Dans cet esprit, nous appelons le Conseil européen à oser vouloir plus, et à rejoindre le Parlement européen et la Commission européenne dans leur attachement à l’Union européenne en tant que projet politique, et à faire preuve d’un niveau d’ambition identique.

 

SIGNATURES

Manfred Weber, président du Groupe PPE

Iratxe García-Perez, présidente du Groupe S&D

Dacian Cioloș, président du Groupe Renew Europe

Philippe Lamberts et Ska Keller, coprésidents du Groupe Verts/ALE

Manon Aubry et Martin Schirdewan, coprésidents du Groupe GUE/NGL

Eurodéputés impliqués
Présidente
Espagne
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