Pour une refondation profonde de l’Union européenne

Par Jean-Christophe Cambadélis, Bruno Le Roux, Didier Guillaume, Pervenche Berès et les parlementaires membres des groupes qu’ils président.

L’Europe se désagrège sous nos yeux : les citoyens européens ne pensent plus qu’elle les protège, qu’elle soit un espace de démocratie. Ils s’en détournent, quand ils ne se sentent pas trahis par elle. Pour les parlementaires que nous sommes, l’Europe se détricote parce qu’elle est inachevée et que ses lacunes d’origines sont devenues intenables.

Réfugiés, euro, fraude fiscale, chômage, terrorisme… L’Europe n’a pas su se donner les outils pour répondre aux crises de grande ampleur qu’elle a traversées ces derniers temps. Force est de constater que l’Europe des petits pas ne marche plus : Maastricht n’a pas produit de politique économique européenne pas plus que Schengen de politique commune d’asile, d’immigration ou de frontières extérieures.

Quelles que soient les avancées accomplies, bien des blocages de l’Union sont le résultat d’une politique du « chacun pour soi » de la part des gouvernements des États membres, prompts à condamner chez eux les solutions qu’ils ont négociées et acceptées à Bruxelles. Seuls, nous ne pourrons rien pour l’harmonisation fiscale, la convergence économique et sociale, contre la fraude fiscale, la menace djihadiste ou la piraterie, le réchauffement climatique, pour la protection de l’environnement et des mers, la préservation des ressources non renouvelables, la sécurité alimentaire… De la même manière, la résistance à la politique commerciale agressive de la Chine n’aurait aucune efficacité au niveau des nations européennes ; les menaces de représailles commerciales seraient telles qu’aucune capitale nationale n’y résisterait.

Ceux qui répondent à la crise par des solutions nationales font fausse route et ne font qu’attiser le nationalisme en Europe. L’Union n’est ni omnipotente ni responsable de toutes les crises mais elle est aujourd’hui incomprise. Alors que le Royaume Uni veut la réduire à un marché intérieur ou la quitter, nous devons saisir ce moment pour reprendre l’initiative. C’est donc une œuvre de refondation profonde que nous proposons, un nouveau contrat pour les Européens, pour une Europe des projets plutôt qu’une Europe de la sanction. En ce sens, nous proposons aux citoyens européens un décalogue de priorités.

L’Europe doit se doter d’une stratégie massive d’investissements. Grâce à un socle commun de droits sociaux et à un budget à la hauteur de ses ambitions, l’Union devra faire de l’emploi sa priorité absolue. La convergence sociale permettra de lutter pour le pouvoir d’achat, contre le dumping social et salarial, pour le salaire minimum et l’encadrement du détachement des travailleurs.

Ensuite nous demandons un impôt européen sur les multinationales et une harmonisation fiscale permettant la lutte contre la délinquance en col blanc (la corruption, la fraude, l’évasion et l’optimisation fiscale).

Nous plaidons pour une politique migratoire globale et responsable, comprenant une meilleure gestion des frontières extérieures appuyée sur un Code Schengen précisé. Le système commun d’asile doit s’appuyer sur un Règlement Dublin III profondément modifié, qui suppose un guichet unique d’instruction des demandes d’asile et sur une harmonisation plus étroite des procédures ainsi que des droits des personnes qui obtiennent le statut de réfugié.

Nous voulons doter la zone euro des moyens d’intervention et d’un budget digne d’un espace de cette importance. Un gouvernement de la zone euro devra impulser la politique économique européenne, gérer le budget et ainsi assurer un contrepoids politique et démocratique aux décisions de la BCE. Il devra être démocratiquement contrôlé par un parlement de la zone euro. Les parlementaires, européens comme nationaux, auraient ici un rôle essentiel dans ce processus de contrôle.

Nous proposons de faire du succès de la Conférence de Paris sur le climat le fil conducteur d’un nouveau modèle de croissance. Toutes les conséquences doivent en être tirées au plan européen à travers une stratégie massive d’investissements public et privé, y compris par la relance des prêts bancaires aux PME, bien au-delà du Plan Juncker, pour favoriser la transition énergétique, rattraper le retard de notre continent dans le domaine numérique et favoriser la création d’emploi de qualité, soutenir les jeunes entreprises. Les règles du pacte de stabilité devront en parallèle être réexaminées afin de favoriser l’investissement. L’union bancaire devra être parachevée.

Le chantier majeur de la relance de la demande intérieure doit pouvoir s’appuyer sur des instruments puissants ; nous souhaitons aussi l’élaboration d’un Buy European Act, qui donne la préférence aux entreprises européennes dans les marchés publics.

Cette stratégie interdit de conclure le TTIP. Elle nécessite la mise en œuvre du principe du juste échange qui garantit les normes de santé, sociales et environnementales de l’Union. Elle porte une exigence démocratique et la procédure d’autorisation parlementaire de ratification devra être exemplaire.

L’Europe, touchée en plein cœur par des attentats, doit rapidement et considérablement accélérer sa lutte contre le terrorisme. Les services de renseignement des Etats membres doivent renforcer leur coopération ainsi que leurs échanges d’informations.

Entité régionale confrontée à l’instabilité du Moyen-Orient, à la montée du terrorisme djihadiste et à l’instabilité de son voisinage à l’Est, l’Europe doit repenser ses relations stratégiques avec ses grands partenaires sur la scène internationale à travers une diplomatie européenne cohérente qui doit pouvoir s’appuyer sur une véritable politique commune de défense.

Nous voulons aussi mettre en place un pacte pour la démocratie, l’état de droit et les droits fondamentaux alors que les nationalistes proposent la fin de l’Union, et les libéraux le seul marché.

C’est à telle refondation que nous conditionnons un changement de traité. Les citoyens aspirent à la fois à une refondation européenne et, pour une grande majorité, à rester dans l’Union ; c’est dans cet espace que nous souhaitons porter la négociation.

Oui, l’Europe est l’outil indispensable pour reconquérir notre souveraineté et faire face aux défis et menaces du XXIe siècle. L’urgence ne nous laisse pas d’autre choix que d’innover en avançant, y compris avec une intégration renforcée autour de la zone euro pour rester fidèle à l’idéal de progrès, de paix et de prospérité que portent les socio-démocrates européens. L’Europe se doit de reprendre le chemin qui fait sa force à l’échelle du monde, celui de la démocratie. Seule une nouvelle refondation politique, basée sur un contrat avec les Européens, permettra de sauver l’Union européenne et de garantir la pérennité de ses valeurs. Une certaine Europe est morte, vive notre Europe.
 
 
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José Lavezzi
Attaché de presse de la délégation socialiste française au Parlement européen
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